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Apprendre à lire – des pistes d’après L. Lowry – Analyse de deux passages de L’élue.

Posted bys2a 18 octobre 201530 juin 2021 Leave a comment on Apprendre à lire – des pistes d’après L. Lowry – Analyse de deux passages de L’élue.

Un an après le premier article de ce blog, me voilà de retour avec un article d’analyse d’un texte littéraire : deux passages de L’élue de Loïs Lowry.

Je vais m’intéresser une fois encore à la manière dont un auteur de littérature rend compte des enjeux et du processus d’apprentissage de la lecture.

Le premier passage est extrait du chapitre 9. à ce moment de l’histoire, Kira, orpheline qui doit travailler comme brodeuse pour gagner sa vie mais n’a pas fini sa formation, se rend auprès d’une vieille femme qui lui apprend comment teindre les fils blancs avec différentes plantes. Ces informations à retenir sont nombreuses et Kira « révise », le soir, une fois rentrée.

Extrait 1

« Elle répéta sans fin les noms des plantes à voix haute, et pour les retenir plus facilement, essaya même de composer une chanson : « passerose et tanaisie, garance et gaillet… » Mais les mots ne rimaient pas, et le rythme n’y était pas. »

→ Le personnage s’appuie sur l’oralité de la langue pour retenir : rythme, rime, mélodie. Ce processus est à l’œuvre dans les sociétés à tradition orale mais également dans les sociétés ayant une langue écrite, notamment dans les comptines pour enfants. Il s’appuie sur la prosodie comme facteur de mémorisation (cf. article Llorca LLORCA Régine (1992) « Le rôle de la mémoire musicale dans la perception d’une langue étrangère », Revue de phonétique Appliquée n° 102 : 45-68.)

Thomas frappa à sa porte. Kira le salua joyeusement, lui montra la Robe et les fils de couleur, et lui raconta sa journée avec la vieille teinturière.

— Je n’arrive plus à me rappeler tous les noms, dit-elle. Mais l’idée m’est venue de retourner demain matin sur l’emplacement de mon vieux kot. Peut-être y trouverai-je les plantes que ma mère utilisait pour les couleurs. Si je les vois, alors leurs noms me diront quelque chose. J’espère seulement que Vandara…

→ Kira exprime explicitement son besoin de retenir les informations. Après avoir fait appel à son intelligence musicale, (cf. article phonfle) elle fait appel à son intelligence visuelle. Elle semble être consciente des différentes stratégies qui s’offrent à elle.

Elle s’interrompit. Elle n’avait jamais parlé au jeune Sculpteur de son ennemie jurée, et le seul fait de prononcer le nom « Vandara » l’emplissait de crainte.

— La femme à la cicatrice ? demanda Thomas.

Kira fit signe que oui.

— Tu la connais ?

Il secoua la tête.

— Non, mais je sais qui c’est. Tout le monde le sait.

→ Ce passage ne parle pas d’apprentissage, il y a un retour à l’intrigue principale, et pourtant il me fait penser à une situation de classe : l’irruption du monde extérieur dans la situation d’apprentissage, le lien fait avec le réel, les multiples interruptions dans l’apprentissage liées au contexte de vie des personnes, à leurs préoccupations.

Il prit sur la table un écheveau de coton rouge sombre.

— Comment la teinturière a-t-elle obtenu cette teinte ? demanda-t-il avec curiosité.

La jeune fille réfléchit. Garance pour le rouge.

— Garance ! s’exclama-t-elle. Juste les racines.

— Garance, répéta-t-il.

→ On apprend mieux en répétant, mais également en expliquant à quelqu’un. À plus forte raison quand ce quelqu’un est un proche qui s’intéresse à notre travail. Dès lors, motivation intrinsèque (apprendre parce qu’on l’a décidé) et extrinsèque (apprendre pour que quelqu’un soit fier de nous par exemple, ou pour toute autre raison extérieure à soi) se rejoignent pour une plus grande motivation et efficacité (Continuum d’autodétermination).

Il eut alors une inspiration.

— Je pourrais noter les noms pour toi, Kira. Cela te permettrait de les retenir plus facilement.

→ La fonction de conservation de l’écrit est évoquée, ainsi que son rôle dans la mémorisation puisqu’elle permet d’avoir accès à l’information quand on le souhaite pour vérifier ses connaissances.

— Tu sais écrire ? Et lire ?

— Oui. J’ai appris quand j’étais petit. Les garçons en ont la possibilité, du moins ceux qui sont sélectionnés. Et quelquefois, dans mon travail de sculpteur, j’ai affaire à des mots.

— Mais moi, je ne sais pas. Alors même si tu m’écrivais les mots, je ne saurais pas les lire. Et puis c’est interdit aux filles d’apprendre.

— Je pourrais au moins t’aider à les retenir. Je les noterais par écrit et je pourrais te les lire. Je suis sûr que ça t’aiderait.

Kira se rendit à ses raisons. Il alla donc chercher dans sa chambre une plume, de l’encre et du papier, et elle lui redit une nouvelle fois les mots dont elle se souvenait.

→ La dimension sociale de l’accès à l’écriture – réservée à une partie de la population, ici les hommes, est évoquée. Cela ainsi que l’omniprésence de l’écrit sur différents supports. En effet, on peut écrire sur du bois, sur du papier, etc. à l’heure actuelle, l’écrit peuple le paysage sur d’autres supports : panneaux publicitaires, écrans tout aussi publicitaires et parfois informatifs,

À la lumière vacillante des lampes, elle le regarda consigner soigneusement tous ces mots ; elle vit comment les lignes droites et les lignes courbes, en se combinant, finissaient par former des sons, qu’il pouvait ensuite lui répéter.

→ Apprendre, c’est observer et créer des schémas qui se répètent. On apprend par le biais des sens, mais il faut ensuite interpréter ces données. Ici Kira fait le lien entre des informations qui lui arrivent par 2 canaux différents : la vue et l’ouïe. Elle reconstruit également le signe visuel, la lettre, comme unité à partir des éléments non signifiants qui la composent (les lignes droites et les courbes) et comme trace graphique d’un son de la langue, un phonème. L’auteur nous rappelle la finalité de l’écrit : être lu, répété, quel que soit le lecteur.

Lorsqu’il lut à voix haute, le doigt posé sur le mot, millepertuis, elle nota que c’était un long mot avec des lignes droites pareilles à de hautes tiges. Vite, elle détourna les yeux, dans sa crainte de l’apprendre et d’être ainsi coupable d’avoir enfreint une sévère interdiction. Mais elle n’avait pu s’empêcher de sourire en le voyant, en voyant comment la plume traçait des formes et comment ces formes racontaient une histoire, celle d’un nom.

→ La lecture avec un guide visuel (ici le doigt) est un réflexe dans les début de l’apprentissage, mais on assiste aussi à son retour dans les techniques de lecture rapide ou de lecture aménagée pour les personnes présentant des troubles dys. Cela permet de guider son attention, de se repérer visuellement dans l’espace de la feuille lorsqu’on n’est pas encore entrainé. Dans ce passage, Kira observe la taille des mots en longueur mais aussi en hauteur. De nombreux exercices sur la forme visuelle des mots servent à travailler cet aspect de la lecture : cf. Diapo 6.

Le passage sur l’interdiction de lire me semble intéressant dans la mesure où il souligne les conflits qui peuvent freiner les individus dans leurs apprentissages : entre désir individuel et freins sociaux (ici l’interdiction mais cela pourrait être le jugement social).

L’auteur termine ce paragraphe par le rappel d’une autre fonction de l’écrit, à côté de la trace laissée : raconter une histoire.

Extrait 2

Kira était étonnée de ne pas être elle-même plus lasse et ensommeillée. Mais pour elle, le Chant était aussi un voyage à travers la forêt de dessins des plis, et, au fur et à mesure que le Chanteur présentait les scènes qui, sur la Robe, illustraient le Chant, elle se rappelait chacune de ces scènes, les jours où elle y avait travaillé, ses recherches dans la collection d’Annabella pour trouver les nuances exactes… En dépit de son attention, son esprit vagabond revenait de temps à autre à la tâche angoissante qui l’attendait. Les fils à broder d’Annabella arrivaient à épuisement ; la vieille femme elle-même avait disparu. Dès lors, il ne restait plus à la jeune fille qu’à se confier obstinément à sa mémoire et à fabriquer seule les teintures. Thomas, qui avait tout noté, lui faisait réciter sans fin les leçons d’Annabella.

→ Cet extrait se passe au moment où, dans cette société où tous ne savent pas lire, l’histoire du peuple est racontée lors d’une cérémonie, à travers un chant rituel. Ce chant est illustré par des broderies sur la robe du chanteur. Le texte s’appuie sur l’oralité dans les sociétés à tradition orale. Le chant permet de mémoriser une histoire et de la transmettre. Les dessins de la robe exploitent la force évocatrice des images, tout comme le font les vitraux par exemple.

Kira semble mémoriser par le mouvement (intelligence/mémoire kinesthésique). Au-delà de cet aspect particulier de l’apprentissage, le texte fait le lien entre les différentes activités du personnage et son apprentissage. Mémoriser, c’est fixer et pour cela on peut s’appuyer sur tous les canaux (vue, ouïe, actions, aspect affectif, etc.). Par ailleurs, on peut dire que l’on a ici l’illustration de l’approche actionnelle : c’est en faisant (en brodant) que Kira apprend (à broder, à teindre, mais aussi l’histoire de son peuple qu’elle raconte en brodant). Et aussi en systématisant par la répétition.

Kira, qui n’en avait soufflé mot à personne, pas même à Thomas, venait de découvrir, à sa stupéfaction, qu’elle savait lire la plupart des mots. Un jour, en suivant le doigt du garçon sur la page, elle avait remarqué que garance et guède commençaient de la même façon, par une courbe descendante qui s’infléchissait vers la gauche, et se terminaient aussi de la même façon, par une petite boucle qui, arrivée en bas, tournait vers la droite. C’était comme un jeu d’essayer de deviner à quels sons correspondaient les différents signes (quelquefois, avait noté Kira, ils étaient bizarrement muets, comme la petite boucle à la fin de garance et de guède). Un jeu interdit bien sûr. Reste que la jeune fille s’était plus d’une fois surprise – quand Thomas ne regardait pas – à tenter de résoudre l’une ou l’autre énigme, et que les énigmes lui livraient peu à peu leurs secrets.

→ À force de répétition, d’observation et de réflexion sur ses observations, Kira a appris à lire. Cela passe par l’observation des signes graphiques eux-mêmes (leur forme) ainsi que par l’observation de leur rapport à la phonie. Apprendre à lire, cela peut être vu comme un jeu, lorsque le rapport à l’écrit n’a pas pris de dimension conflictuelle pour l’individu. L’écrit, lorsqu’on n’y a pas encore accès, est souvent perçu comme un mystère pour les initiés. En être exclu peut être vécu comme un handicap, comme certains des apprenants en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme me l’ont parfois exprimé. Pour percer ces énigmes, la persévérance est de mise, la régularité aussi.

Compte-rendu d’expérience en classe

J’ai présenté ces deux extraits en classe à un groupe d’adultes en apprentissage de la lecture-écriture afin de les amener à réfléchir sur leur manière d’apprendre. Après un petit moment d’adaptation (écouter lire et dire ce qu’on a pensé d’une lecture ne va pas de soi), nous avons eu une discussion fructueuse sur les stratégies d’apprentissage de chacun, sur la place que les personnes donnent à la lecture. J’ai pu observer un processus d’identification au personnage ainsi qu’une mise à distance puisque le monde de Kira est différent du nôtre, qui a permis une prise de position sur le monde actuel, la place des femmes, l’accès à la lecture.

C’est une expérience que j’ai envie de renouveler, je suis donc à l’affût d’extraits pertinents pour mon public, n’hésitez pas, si vous en avez, à les proposer.

* * * * * * *

Le regard de Cindy Daupras sur l’article :

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Tags: FLE, FLI, Kaléidoscope, non classé, phonFLE,

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